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02/05/2012

(J-Drama) The Quiz Show, saison 1 : un déstabilisant jeu télévisé

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Après quatre mercredis asiatiques consacrés à la fiction sud-coréenne, il est temps de retourner explorer le petit écran japonais. Je vous propose de reporter l'exploration des nouveautés printanières et de laisser de côté les bilans de l'hiver achevé (même si j'y reviendrai notamment pour vous parler d'une série en cours de sous-titrage, pour l'instant extrêmement prometteuse, et qui devrait devenir mon deuxième grand coup de coeur de l'année après Shokuzai). Aujourd'hui, nous allons nous arrêter sur un j-drama un peu plus ancien, carrément inclassable, qui figurait depuis quelques temps sur ma liste de séries à découvrir : The Quiz Show.

Ce drama a été diffusé sur NTV du 6 juillet au 27 septembre 2008 le samedi dans la nuit. Sa première saison compte 12 épisodes de 23 minutes environ chacun. Une deuxième saison a été diffusée l'année suivante, conçue sur un format plus long (le classique 45 minutes par épisode), avec un casting différent. Il est difficile de déterminer s'il s'agit d'une forme de suite, ou plutôt d'un remake exploitant les mêmes recettes. Ne l'ayant pas vue, ma critique portera uniquement sur la première saison qui s'apprécie indépendamment. Si je tiens tout particulièrement à cet article, c'est que The Quiz Show est une de ces belles surprises qui redonne foi en ces concepts à suspense où tout repose sur l'ingéniosité du scénario et ses acteurs. 

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The Quiz Show est le nom de l'émission de jeu télévisée que la série met en scène. Elle va s'intéresser à ses coulisses, tout en nous faisant vivre, comme un téléspectateur lambda, la participation de différents candidats pour tenter de remporter le premier prix. Ce dernier est alléchant : s'ils parviennent à répondre aux septs questions posées, ils peuvent remporter 10 millions de yens, ou bien, en continuant jusqu'au dernier niveau, voir leur rêve le plus cher devenir réalité, avec le soutien de la chaîne de télévision. Seulement, à chaque émission, ce qui commence par de simples questions de culture générale accessibles au participant prend progressivement un tour de plus en plus personnel, glissant dans leur vie intime pour les déstabiliser.

Car The Quiz Show n'est pas un jeu ordinaire. Son objectif est d'éclairer les failles de ses candidats, visant à exposer leurs sombres secrets au grand jour. Petit à petit, sous la pression, voire l'appât du gain, ces "victimes" initialement consententes finissent par dévoiler une part d'eux-mêmes qu'ils tiennent jalousement secrète. Certains mentent, d'autres se décomposent et perdent leurs moyens. Il y en a qui profitent de l'émission pour soulager leur conscience et expier un poids devenu trop lourd à porter, tandis que d'autres ressortent brisés de l'expérience. Mais de plus, en filigrane, un autre fil rouge mystérieux se superpose à cette succession de candidats-victimes. Ces derniers ne sont pas choisis au hasard : quelles motivations se cachent dans les coulisses de l'émission ? Animé par un présentateur exubérant dont le passé comporte ausis un confus et dramatique secret, The Quiz Show est produit par un inquiétant individu dont l'agenda caché semble déterminer toute l'émission. 

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The Quiz Show appartient à cette catégorie, prisée mais rare, des OTNI (object télévisuel non identifié). Ce sont ces fictions aux concepts intrigants, qui n'hésitent pas à expérimenter et où la gestion habile des prises de risque va palier les limites formelles et budgétaires. Lorsque ces dramas sont bien dosés, le télépectateur les savourent toujours avec une satisfaction particulière, justement parce qu'ils réhabilitent l'originalité : ils osent tenter des choses et sont capables d'explorer et de repousser les limites de leur univers. C'est exactement ce que j'ai ressenti en visionnant The Quiz Show. Faisant preuve d'une réelle maîtrise narrative, cette série va se construire une tension psychologique prenante et efficace, dont l'intensité va aller crescendo à mesure que la saison progresse.

Sa réussite tient tout d'abord à la manière dont elle s'approprie pleinement son concept : elle fait sienne les dynamiques propres à une émission de télévision, avec la dose de voyeurisme qui lui est inhérente. Mettant à profit sa durée relativement courte - une vingtaine de minutes par épisode - qui lui permet d'aller à l'essentiel, la structure de The Quiz Show repose principalement sur le jeu mis en scène, son rythme dépendant de la succession de questions et de la montée des tensions. Si le drama laisse entrevoir les coulisses de l'émission, avec des interventions de la régie à chaque dérapage durant le direct, son cadre principal reste le plateau de télévision. En dépit de la présence du public, des millions de téléspectateurs derrière leur écran, c'est bel et bien sur un ressenti de huis clos que joue la série. Car The Quiz Show va être une histoire de face à face. 

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En effet, ce drama repose sur une double confrontation dont les enjeux ne sont révélés que progressivement. La première, la plus évidente, est celle qui naît entre le présentateur et chaque candidat. Si The Quiz Show suit un schéma presque invariable, nous faisant assister à la déstabilisation progressive de la "victime" du jour, pour la conduire à exposer spontanément ou non un terrible secret, chaque émission a ses particularités. Tous les candidats ne sont pas placés sur le même plan : pour certains, leur personnalité et l'acte commis font qu'ils ne peuvent connaître aucune forme de rédemption et le présentateur se montre sans pitié ; pour d'autres, l'émission sert de confession expiatoire, plaçant la personne devant ses responsabilités et l'obligeant à cesser de fuir. Capable de se renouveler, la série a l'habileté de ne jamais se laisser enfermer dans son concept. Elle n'est pas manichéenne, ni moralisatrice - les brèves conclusions du présentateur restent de simples chutes finales. De plus, elle va savoir jouer sur l'empathie du téléspectateur et ses nuances. Les sentiments que suscitent les différents personnages sont en effet très variables : certains sont sympathiques, tandis que d'autres apparaissent profondément antipathiques.

De manière générale, The Quiz Show ne se départit jamais d'une ambiguïté, incarnée par ses principaux protagonistes. C'est particulièrement perceptible dans la deuxième confrontation qui se construit en filigrane : celle du présentateur et du producteur. La série sait ici prendre son temps : elle dévoile une à une ses cartes, intrigant d'abord, puis construisant progressivement l'antagonisme qui lie les deux hommes. Ce fil rouge est bien dosé, se faisant de plus en plus pesant à mesure que la saison progresse et que l'on comprend que même le choix des candidats dépend de ce face à face. The Quiz Show tiendra ses promesses, proposant une confrontation finale à la hauteur de la tension introduite. Elle l'orchestre de façon admirable sur les deux épisodes de fin. Elle respecte en plus jusqu'au bout les codes établis par les premières émissions, puisqu'il s'agit d'un affrontement, avec un voyeurisme expiatoire vengeur assumé, qui va remettre en cause les certitudes de certains et faire apparaître, dans la douleur, la vérité.

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Sur la forme, The Quiz Show tire partie de son budget limité et de son format relativement court pour entretenir la proximité avec le plateau de l'émission et les différences participants, contribuant ainsi au huis clos et à l'atmosphère si difficile à cerner de la série. Dès le générique d'introduction, la chanson rock déchirante proposée (Paralyzed ocean, de Pay money to my pain) donne le ton : elle apparaît comme un écho parfait au cri de désespoir dont le drama se fait le récit. Parfois pesant, pathétique, voire inquiétant, il y a une volatilité d'ensemble que la caméra va savoir capturer, grâce aux performances des acteurs.

The Quiz Show bénéficie en effet d'un convaincant casting. Une bonne partie de l'intensité de la série repose sur la performance énergique de Katagiri Jin (Chojin Utada), un acteur que je ne connaissais pas et qui m'a impressionnée dans ce rôle très particulier. Il a été capable de cerner toutes les ambivalences et facettes de son personnage, retranscrivant l'exubérance du présentateur, mais aussi ses failles, avec une interprétation ambiguë hantée par un douloureux passé inaccessible. Face à lui, on retrouve Totsugi Shigeyuki (Uta no Onii-san) qui reste initialement cantonné à un rôle machiavélique en retrait, mais va être en mesure de se révéler dans les deux derniers épisodes de la saison. De plus, il faut noter que le drama accueille aussi son lot de guest-stars notables parmi les candidats des différentes émissions : on retrouve notamment Yamamoto Koji (Karei Naru Ichizoku) en chanteur has been, Takahashi Mai (Mousou Shimai) en mangaka ratée ou encore Sato Jiro (Uta no Onii-san, Yuusha Yoshihiko to Maou no Shiro) en astrologue ambitieux.

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Bilan : Drama intrigant et original qui entend exploiter sous toutes ses facettes le concept particulier qui est le sien, The Quiz Show nous introduit dans une émission télévisée déstabilisante au sein de laquelle se construit une tension psychologique des plus prenantes. Plaçant en son coeur une double thématique de vengeance et d'expiation, il se caractérise par une admirable maîtrise narrative tout au long de ses douze épisodes, capable de prendre son temps pour poser ses enjeux et offrir une résolution à la hauteur des attentes. C'est vraiment une expérience réussie des plus intéressantes, qui sort de l'ordinaire dans le paysage des dramas japonais.

En résumé, une curiosité à découvrir !


NOTE : 8/10


Le début du premier épisode (avec le générique d'ouverture de la série) :

29/02/2012

(J-Drama / SP) Shikei Kijun : la peine de mort au coeur d'un drame humain

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Du rattrapage de tanpatsu au programme de ce mercredi asiatique, qui nous fait donc rester une semaine encore au Japon. C'est Kerydwen qu'il faut remercier pour avoir attiré, le mois dernier, mon attention sur le drama dont je vais vous parler aujourd'hui : Shikei Kijun. Ce dernier a été diffusé sur la chaîne WOWOW (oui, toujours elle !), le 25 septembre 2011. Il s'agit d'un tanpatsu comportant une seule partie d'une durée totale de 2 heures, inspiré d'un roman de Kamo Takayasu

Shikei Kijun se démarque par le thème qu'elle aborde, un sujet sensible qui retiendrait mon attention peu importe le pays, celui de la peine de mort. Cette dernière existe toujours au Japon. Un sondage réalisé en 2010, mentionné dans le drama, montrait une opinion publique majoritairement favorable à son maintien. Sur un tel thème, j'avais déjà lu des synopsis de dramas comme Mori no Asagao, mais l'absence de sous-titres en avait toujours rendu le visionnage irréalisable.

Ce tanpatsu a donc été ma première vraie incursion dans le système judiciaire japonais. Si le résultat n'a pas répondu à toutes mes attentes, il s'agit cependant d'un legal drama solide et efficace. 

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Otomo Kojiro est un avocat à qui tout semble avoir réussi. Homme médiatique, il s'est rapidement imposé comme une des figures de proue du mouvement en faveur de l'abolition de la peine de mort au Japon. Un de ses proches amis, Mito Yusuke, avec qui il a fait ses études de droit, le suit dans ces procès particuliers où la sentence encourrue peut être la mort. Car si ce dernier ne s'est jamais lancé dans une carrière de praticien, il enseigne à l'université et étudie les critères dégagés par la jurisprudence pour fonder le prononcé d'une telle peine. Sur les bancs de la fac, ils s'étaient également noués d'amitié avec Nagase Mariko qui, elle, a choisi une autre voie : celle du ministère public.

Ces trois amis vont voir leurs liens et leurs certitudes vasciller lorsqu'une tragédie les frappe de près. La femme de Kojiro est retrouvée morte, assassinée, chez elle. Un suspect est très arrêté. Son procès s'annonce. Face au tourbillon personnel, médiatique et judiciaire qui menace d'emporter nos trois protagonistes, comment chacun va-t-il se positionner face à ce cas qui les touche personnellement ? Que restera-t-il de leurs convictions antérieures face à ces épreuves ? 

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Shikei Kijun est un tanpatsu ambitieux qui, s'il a conscience d'évoluer sur un terrain sensible, ne va cependant pas hésiter à aborder toutes les facettes de cette problématique complexe qu'est la peine de mort. Dotée d'une approche très didactique, il a le mérite de s'intéresser à tous les points de vue, donnant la parole aussi bien aux proches de victimes, à l'accusé, mais aussi aux différents acteurs de la justice - la police, la défense, le ministère public, et même le juge, avec la responsabilité qu'il prend en prononçant la sentence. Le fait que les personnages vont tour à tour occuper différents rôles, avocat ou victime, théoricien ou praticien, permet aussi de souligner les contrastes des positionnements de chacun.

C'est dans cet effort d'offrir une large photographie du système judiciaire, et de tous les intervenants d'une procédure pénale, que se trouve la réussite principale du drama. Manquant parfois de subtilité, mais en conservant toujours cette volonté d'aborder le sujet de la façon la plus large possible, il va en effet éclairer les limites humaines inhérentes à la Justice, et les tensions qui la parcourent, arbitrage subtil entre ambitions personnelles, ordre public et intérêt de la société. On a donc un solide et consistant legal drama qui devrait retenir l'attention de tout téléspectateur s'intéressant à ces thèmes. 

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Cependant, si Shikei Kijun affiche de hautes ambitions en multipliant les angles d'attaque, il va laisser un arrière-goût d'inachevé. Paradoxalement, à trop vouloir tout s'approprier, il finit par en dire trop peu. Manquant de lisibilité, les esquisses de réflexion et les raisonnements restent trop souvent dans de l'informulé. Ils ont tendance à s'effacer derrière les émotions des différents protagonistes. La volonté de s'attacher uniquement aux destins personnels, en soulignant le contraste entre principes théoriques et réalité de la douleur lorsque le drame touche personnellement, était une idée intéressante ; mais elle brouille son propos et finit par faire perdre au drama sa ligne directrice. 

Certes, certains argumentaires sont un peu plus approfondis. D'un côté, il y a notamment la question de la place de la victime et de ses proches au sein de la procédure pénale : est-ce qu'une sentence doit être prononcée au nom de la société, ou au nom des proches pour apaiser leur douleur ? C'est un débat récurrent du droit pénal moderne, et ce drama a le mérite de (brièvement) l'esquisser. A l'opposé, l'autre versant est plus classique : contre la peine de mort, c'est le risque d'erreur judiciaire, amenant la justice à prendre la vie d'un innocent, qui s'impose. De manière générale, Shikei Kijun donne l'impression de vouloir tout couvrir, mais manque de direction et de structure pour mener à bien et jusqu'au bout ses questionnements. La conclusion, faisant le choix d'une relative facilité, est d'ailleurs révélatrice des limites du drama : une fiction judiciaire intéressante, mais non une réflexion aboutie sur son sujet central, celui de la peine de mort.  

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Sur la forme, Shikei Kijun est un drama classique et réussi. La réalisation est sobre, parfaitement maîtrisée, même si le décor principalement intérieur - notamment au tribunal - n'offre logiquement que peu d'occasions de mettre en valeur le cadre. La bande-son reste aussi utilisée avec parcimonie, ne venant jamais empiéter sur le propos même du drama, ni amoindrir l'intensité des échanges.

Enfin, un dernier atout de Shikei Kijun est son casting. On y croise un certain nombre de têtes familières du petit écran japonais, et chacun délivre des prestations homogènes qui conviennent à la tonalité du tanpatsu. Se partagent la tête d'affiche, Yamamoto Koji (Karei Naru Ichizoku, Mother, Pandora), Ozawa Yukiyoshi et Toda Naho (Marks no Yama). A leurs côtés, on retrouve également Kashiwabara Takashi, Kyono Kotomi, Mitsuishi Ken, Yajima Kenichi, Sato Jiro, Kaneda Akio, Emoto Akira, Yamamoto Kei, Hirooka Yuriko et Kondo Yoshimasa. 

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Bilan : A défaut de réellement s'approprier les clés d'une réflexion seulement esquissée autour de la peine de mort, Shikei Kijun se révèle cependant être un drame judiciaire solide et efficace, reposant entièrement sur ses personnages et leurs émotions, derrière lesquelles s'effacent les enjeux plus théoriques. Peut-être victime de ses ambitions, en voulant offrir une photographie trop large d'un sujet complexe qui dépasse le seul cas d'espèce évoqué, cela reste une fiction riche et intéressante qui mérite un visionnage.


NOTE : 7/10

03/11/2010

(J-Drama) Karei Naru Ichizoku : déchirement familial sur une toile de fond industrielle

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Une review en forme de bilan en ce premier mercredi asiatique du mois de novembre. Non que je manque de nouveautés à découvrir, aussi bien japonaises que sud-coréennes, mais parce que, comme annoncé durant l'été, je m'efforce de poursuivre en parallèle mon exploration de la télévision du pays du Soleil Levant, suivant notamment vos recommandations du mois d'août (en l'espèce, merci donc à lady et calcifer qui m'avaient parlé de ce drama). Car ce week-end, j'ai profité du changement d'heure pour terminer une série commencée il y a déjà quelques semaines : Karei Naru Ichizoku. Diffusée en 2007, sur la chaîne TBS, elle comporte 10 épisodes (le premier et le dernier durant 75 minutes, les huit autres, 45 minutes).

Au vu du résumé, je m'attendais à de l'économique, de l'industriel, une pointe d'ambiance sixties... J'ai eu bien plus que cela. C'est une série qui, par ses thématiques et la manière de les traiter, ne ressemble à aucune autre. Rien ne m'avait vraiment préparé, à la seule lecture du synopsis, à la force de l'histoire dans laquelle je me suis ainsi engagée. Dix épisodes plus tard, Karei Naru Ichizoku s'est imposé à mes yeux comme un incontournable du petit écran japonais. Pas pleinement séduite dès le départ, au final, ce récit dont la tension va crescendo, s'affirmant peu à peu, aura plus que mérité l'investissement réalisé. Si bien que, c'est en téléspectatrice sans doute pas encore complètement remise de ce visionnage que je vous propose un bilan aujourd'hui. Car il était inconcevable de reporter d'une seule semaine la critique de ce drama.

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Adaptation d'un roman de Yamazaki Toyoko, Karei Naru Ichizoku nous plonge au coeur de la réorganisation financière du Japon à la fin des années 60, à travers la destinée tumultueuse de la famille Manpyo, riche et puissante dynastie qui a fait fortune dans le domaine bancaire. A l'aube de l'entrée dans l'ère de l'économie moderne, la série offre un parfait reflet des tensions d'une époque, portrait contrasté d'une société hésitant entre crispation sur des acquis s'amenuisant et regard tourné vers le futur. A ce conflit, incarné par les deux figures centrales de la série, se superpose la description d'une relation - ou plutôt d'une non-relation, troublée et troublante, chargée d'incompréhension, entre un père et son fils.

Patriarche dirigiste, qui mène son entourage d'une main de fer, Manpyo Daisuke possède une importante banque en bonne santé financière. Mais cette dernière est mise en danger par les plans de restructuration du ministère qui prévoient, à terme, de créer de grandes concentrations bancaires, au sein desquelles les plus petites se dilueront. Parallèlement, son fils aîné, Teppei, qui n'a jamais manifesté le moindre attrait pour ces jeux d'argent, s'est pleinement investi dans l'industrie métallurgique. Rêvant de faire entrer le Japon parmi les pays les plus industrialisés, visionnaire quant aux futurs enjeux décisifs, Teppei dirige une entreprise de fabrication de métaux. Ses certitudes le portant vers des projets ambitieux, la grande réalisation qu'il souhaite accomplir est la construction d'un haut fourneau qui lui permettra d'acquérir une indépendance de fabrication et une assise matérielle pour partir à l'assaut de nouveaux marchés, notamment américains.

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Pour mener à bien ses idées, Teppei a besoin de soutiens financiers. C'est pourquoi il s'adressera logiquement à Daisuke, en dépit des rapports atypiques, dénués de tout sentiment qu'il a toujours entretenu avec lui, le fils se sentant comme étrangement rejeté par un père qui n'a eu d'yeux que pour le cadet, Ginpei. Aussi meurtri qu'il soit par cette attitude paternelle, Teppei continue obstinément de rechercher une trace de satisfaction dans le regard que son père peut poser sur lui. Seulement, pour ce dernier, la survie et la pérennité de la famille Manpyo ne sauraient passer que par la prospérité de leur banque. Ses manoeuvres pour permettre ce sauvetage vont l'amener à prendre des décisions difficiles et à orchestrer des manipulations brisant, sans arrière-pensée, plus d'un adversaire sur sa route. C'est ainsi sur une voie bien dangereuse qu'il conduit fermement une famille au bord de l'implosion. Daisuke se dit certes prêt à tout pour sauver sa banque, mais a-t-il vraiment songé au prix qu'il pourrait payer ? La famille Manpyo survivra-t-elle à ces soubressauts ? Quels seront les sacrifices à réaliser ?

A la seule lecture du synopsis, si on pressent le potentiel indéniable de Karei Naru Ichizoku, on peine à vraiment apprécier la multiplicité des thématiques que la série va développer et la force d'une histoire qui va tout simplement submerger le téléspectateur. Ce serait une erreur que de trop hâtivement la catégoriser dans un genre précis. Car un de ses principaux atouts va justement être de savoir transcender tous les thèmes mis en scène, pour finalement offrir un récit dense et surtout homogène, dont la maîtrise dans l'exploitation de ces différentes facettes, va dépasser toutes les attentes initiales.

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Tout d'abord, Karei Naru Ichizoku a évidemment les accents d'une saga industrielle au sens noble du terme. Nous plongeant dans les coulisses agitées et létales de la restructuration économique japonaise de la fin des année 60, elle manie avec dextérité le langage compliqué des financiers, tout comme les manipulations retorses des ambitieux qui peuplent ses réunions. Son incursion politique se révèle toute aussi désillusionnée, tant elle dévoile un monde corrompu aux alliances changeantes. Pour autant, ces passages complexes ne vont jamais rendre la série abrupte ou rébarbative. Au contraire, elle réussit à intégrer avec naturel ces enjeux, parfois excessivement abstraits mais toujours compréhensibles, dans les tensions émotionnelles sous-jacentes qui la parcourent.

Car voilà bien un des attraits les plus fascinants de Karei Naru Ichizoku : sa capacité constante à développer une empathie diffuse et sous-jacente tout au long de la série. Si le téléspectateur ne se sent jamais déconnecté de ces intrigues politico-industrielles, c'est parce que le récit n'y est jamais déshumanisé. C'est toujours par le facteur humain, les personnages, que l'histoire se construit, demeurant profondément liée aux aspirations et conflits internes qui les régissent. C'est ainsi que le téléspectateur va être capable de ressentir et de partager cette bouffée d'idéalisme mal contenue manifestée par Teppei, lorsque ce dernier décrit ses grands projets d'avenir, ou qu'il parle avec passion de l'industrie métallurgique. De même, on perçoit bien que les apparentes froides motivations de Daisuke cachent d'autres non-dits, d'autres blessures plus profondes et plus enfouies.

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Dans Karei Naru Ichizuku, si elle en est le décor principal, l'industrie n'est pas une fin en soi. Elle apparaît comme une extension, un univers qui se superpose à la famille, cette dernière restant le coeur véritable du drama. Car cette série est avant tout un véritable drame familial, dans tous les sens du terme. 

La puissance des Manpyo n'a d'égal que le malaise qui s'étend et se creuse dans une famille au bord de l'implosion. Placée sous la férule tyrannique et patriarcale d'un Daisuke pour qui chacun de ses enfants est un outil lui permettant d'oeuvrer à la protection de l'empire financier qu'il souhaite pérenniser, le téléspectateur s'aperçoit bien vite que la gangrène qui ronge les Manpyo est beaucoup plus profonde que de simples mariages arrangés. Il y a quelque chose de vicié dans ce portrait dressé d'une dynamique familiale, quelque chose qui va bien au-delà d'une simple histoire de moeurs et de cette maîtresse omniprésente, presque officiellement intronisée et qui s'arroge la place de l'épouse officielle. Face à ce ressort qui semble cassé, le téléspectateur est longtemps réduit à se perdre en conjectures, incapable d'identifier ce qui se cache derrière certains non-dits ou réactions disproportionnées.

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Pourtant, dès le départ, on devine inconsciemment que tout tourne, comme la série elle-même, autour de cette relation père-fils dont la détérioration apparaît presque instantanément inéluctable. Telle la partition maîtrisée d'une tragédie à l'ancienne au destin déjà scellé, on assiste impuissant à l'engrenage qui s'opère. Cette incompréhension initiale, de deux êtres qui ont toujours été des étrangers l'un pour l'autre, se change progressivement en une concurrence, un temps seulement inconsciente, mais qui prend peu à peu toute sa force pour se conclure en un affrontement direct visant à l'anéantissement de l'autre. Cette inimité qui bascule dans une aversion unilatérale à travers laquelle Daisuke règle ses comptes avec son propre père, Teppei n'étant qu'une incarnation, à ses yeux, de cette figure paternelle tant haïe, est proprement glaçante à l'écran. Si les secrets de famille soigneusement gardés expliqueront bien des ressorts cassés au sein des Manpyo, rien ne pourra arrêter l'engrenage infernal initié par cette opposition destructrice. A mesure que la situation se détériore et que la possibilité d'une réconciliation s'éloigne, le téléspectateur perçoit très tôt - trop tôt - l'issue probable vers laquelle tout finit par tendre.

Le dernier acte de cette tragédie qu'est Karei Naru Ichizoku est à l'image de la série, reflet de toutes les désillusions que cet univers aura apporté. Plus que le contenu de cette fin, c'est l'extrême vanité de tous ces évènements qui reste le plus marquant. Ces luttes acharnées auxquelles on a assisté, ces sacrifices qui ont été faits jusqu'au plus ultime, nous auront entraîné et submergé dans un tourbillon émotionnel d'une ampleur rare. Mais, au final, ce sont d'autres forces, bien plus implacables, bien plus déshumanisées qu'une famille se déchirant, qui poursuivent leurs oeuvres, imperturbables, broyant sur leur passage tout ce qui peut se mettre au travers de leur route. C'est en cela que l'ambivalence de Karei Naru Ichizoku reste profondément dérangeante : certes, au sein de la famille Manpyo, la tradition l'a emporté sur la modernité, mais elle a déjà perdu la bataille finale. Ce n'est qu'un sursis un peu vain, qui donne au final un arrière-goût extrêmement amer (pas uniquement en raison du flot de larmes salées l'accompagnant), conclusion parfaite dans la droite lignée de la série.

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Sur la forme, si sa réalisation est classique, la photographie bénéficie d'une intéressante teinte un peu sepia. Reflet de son appartenance aux sixties, elle renforce aussi l'ambiance de reconstitution historique à la veille de grands changements qu'évoque le drama. Cependant, le registre dans lequel Karei Naru Ichizoku excelle plus que toute autre, c'est dans la composition de sa bande-son. Avec ses accents épiques un peu surprenants aux premiers abords, au vu du sujet traité, elle permet au récit d'atteindre une dimension supplémentaire, lui conférant un souffle fascinant, mais qui prend tout son sens devant la mise en scène de cet affrontement au parfum de tragédie dans laquelle l'histoire glisse progressivement. Minimaliste dans son recours à des chansons, c'est par des morceaux instrumentaux que ce volet musical s'impose. Omniprésente, sans que son utilisation paraisse pour autant excessive ou artificielle, il apparaît rapidement que la musique occupe la fonction d'un outil de narration, rythmant le récit, ses avancées et ses bouleversements, renforçant d'autant l'intensité émotionnelle de certains passages. Cela accroît également cette apparence théâtrale, étonnamment grandiloquente, mais dont la force emporte le téléspectateur comme rarement. C'est bien une des plus marquantes - et des plus belles - OST de j-dramas qu'il m'ait été donné d'écouter.  

Enfin, Karei Naru Ichizoku bénéficie d'un casting très solide. S'il s'appuie sur une riche galerie de personnages, le rôle principal est dévolu à un Kimura Takuya très convaincant. Même pour une relative néophyte en télévision japonaise telle que moi, cet acteur ne pouvait être un inconnu. Cependant, évènement notable, c'est la première fois que je parviens au bout d'un de ses dramas, après des essais infructueux devant Pride ou MR BRAIN. Face à lui, Kitaoji Kinya (Zettai Reido) incarne un père avec ses propres préoccupations, mais aussi blessures personnelles. A leurs côtés, on retrouve un large casting, composé notamment de Suzuki Kyoka, Hasegawa Kyokon, Yamamoto Koji, Yamada Yu, Aibu Saki, Fukiishi Kazue, Nakamura Toru, Inamori Izumi, Takigawa Yumi, Nishimura Masahiko ou encore Harada Mieko.

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Bilan : Entre épopée industrielle et saga familiale, Karei Naru Ichizoku est avant tout une histoire d'hommes. Avec pour toile de fond la modernisation économique du Japon, ce drame humain relate la détérioration progressive de la relation de deux êtres qui n'ont jamais su se trouver, ni se comprendre : un père et son fils aîné, dont les actions vont être une source de souffrance pour l'autre. A mesure que la série progresse, le récit acquiert une ampleur aussi fascinante que presque inattendue. Chaque épisode, chaque nouvelle prise de décision, renforce cette impression d'assister à un nouvel acte d'une sourde tragédie qui s'est inéluctablement mise en marche, et que rien ne paraît pouvoir arrêter. Entre tradition et modernité, entre amour et haine, il y a quelque chose de profondément désillusionné dans l'univers de cette série, illustré par la vanité finale de tous ces évènements. Vraiment dotée d'une intensité émotionnelle rare, Karei Naru Ichizoku ne laissera aucun téléspectateur indifférent.

Un incontournable du petit écran japonais.


NOTE : 9/10


La bande-annonce de la série :


Le thème musical principal (superbe) :